La Turquie est infiniment riche de ses traditions musicales, elle qui fut traversée par les influences perses, azéries, arabes, européennes, tziganes... Et son influence dépassa largement ses propres frontières, pour aller jusqu'à marquer par exemple les fanfares tziganes roumaines ou serbes, qui adoptèrent dès le 19ème siècle certaines des gammes et des sonorités turques. On sait les subtiles mélodies turques capables de radoucir les nerfs après une longue et éprouvante nuit, autant que la caresse d'une brise qu'on n'espérait plus. Ce qu'on sait moins, mais dont on n'a jamais douté, c'est la virtuosité de ses musiciens, et leur extraordinaire capacité à sublimer les évolutions des occidentaux. Erkin Koray est un pionnier, qui introduit le premier le rock'n'roll en Turquie. Il le fit non sans peine, mais avec une audace confondante. Né dans la partie asiatique d'Istanbul, il est en Allemagne dans les années soixante, soit au moment des débuts des Beatles à Hambourg. De retour en Turquie, il est l'un des premiers à utiliser la guitare électrique dans sa musique. Il s'approprie autant le rock'n'roll façon Chuck Berry ou Beatles de Hambourg (avec Yagmur ou Cicek Dagi), que le rock psychédélique des années 70 (Istemem). Les grosses basses aussi roulantes et entêtantes que celles des Who ou des Zombies ne sont elles non plus jamais loin. «Erkin Baba» (Papa Erkin) est aussi l'inventeur du «baglama» électrique, en amplifiant de façon géniale cet instrument traditionnel proche du saz. Scandale ! Mais Erkin ne prête pas attention aux critiques, qui n'ont pas l'air de le préoccuper plus que ça. Ce qu'il cherche, c'est creuser son sillon, explorer toujours d'autres voies, sans jamais s'éloigner de la qualité de sa musique. Il faut quand même le faire, amplifier des instruments traditionnels et y ajouter une distorsion bien grasse, tout en y maintenant des mélodies lancinantes venues du fond des âges... Les musiciens turcs évoluent dans une richesse et une complexité musicale infinie, qui leur permet une aisance différente de celle des musiciens occidentaux ; le génie et le culot de Koray feront le reste. Il ne sera d'ailleurs jamais tenté par les reproductions insipides des tubes de Dylan ou des Beatles, auxquelles certains ont parfois cédé en France. Lorsque Lennon s'interrogeait: « Le rock français c'est un peu comme le vin anglais, pourquoi en parler? », il ne pensait certes pas à la Turquie ni à Koray, qu'il rencontra à Cannes en 1971... Arap Saçi (1973), qui pourrait être traduit par « cheveux longs et mal coiffés », montre que les affrontements capillaires étaient aussi prégnants en Turquie que dans les autres pays occidentaux. C'est le premier album complet de Koray, qui y compile la plupart de ses singles de la décennie précédente. Si l'album est assez difficile à trouver aujourd'hui, «Erkin Baba» reste l'un des musiciens turques les plus influents, et apparait dans le formidable documentaire musical de Fatih Akin : « Crossing the bridge - The Sound of Istanbul ». Il est le premier à avoir marqué de son empreinte ce qui n'était avant lui que la grande page blanche du rock turc.
Mr Moka
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